Exposition de Gaspare Manos
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Memento Mori
Vue de Toscane (paysage en rose)
Venise
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IBN Batuta n°1
L'énigme de l'homme... (Bruxelles 1991)
IBN Batuta n°1
L'énigme de l'homme... (Bruxelles 1991)
Le pont des soupirs, les fers, le crâne
"J'ai fixé le moment de mon évasion dans la nuit précédant la fête de saint Augustin, non pas tant parce qu'il y avait déjà plus de quatre semaines que je l'avais fait mon protecteur, comme parce que je savais que dans cette fête-là le Grand Conseil s'assemblait, et que par conséquent il n'y aurait pas de monde à la boussole contiguë (1) à la chambre par laquelle je devais nécessairement passer en me sauvant. J'ai donc fixé de sortir dans la nuit du vingt-sept.
La journée du vingt-cinq, à midi, il m'arriva ce qui me fait frissonner encore dans ce moment où je vais l'écrire. À midi précis j'ai entendu le glapissement des verrous : j'ai cru de mourir. Un violent battement de cœur, qui frappait plus de six pouces plus bas que sa région, me fit craindre mon dernier moment : je me suis jeté éperdu sur mon fauteuil. Laurent en entrant me dit, mettant la tête à la grille, et avec un ton de jouissance : Je viens, Monsieur, vous porter une bonne nouvelle, dont je vous félicite. J'ai d'abord cru que c'était celle de ma liberté, car je n'en connaissais pas d'autre qui pût être bonne ; et je me voyais perdu : la découverte du trou aurait fait révoquer ma grâce. Laurent entre et me dit d'aller avec lui ; je lui réponds d'attendre que je m'habille : N'importe, me dit-il, puisque vous ne faites que passer de ce vilain cachot à un autre clair et tout neuf où par deux fenêtres vous verrez la moitié de Venise, où vous pourrez vous tenir debout, où... Mais je n'en pouvais plus, je mourais ; je le lui ai dit. J'ai demandé du vinaigre (2) en le priant d'aller dire à M. le Secrétaire que je remerciais le tribunal de cette grâce, en le suppliant au nom de Dieu de me laisser là. Laurent me dit avec un grand éclat de rire que j'étais fou : que le cachot où j'étais s'appelait l'enfer, et que celui où il avait ordre de me mettre était délicieux. Allons, allons, ajouta-t-il, il faut obéir, levez-vous. Je vous donnerai le bras, et je vous ferai d'abord porter toutes vos hardes (3), et tous vos livres. Etonné et en devoir de ne plus répliquer le moindre mot je suis sorti, et j'ai dans l'instant ressenti un petit soulagement en l'entendant ordonner à un des siens de le suivre avec mon fauteuil. Mon esponton (4) était caché dans sa paille : c'était toujours quelque chose. J'aurais voulu me voir suivi par le beau trou que j'avais fait avec tant de peine, mais c'était impossible : mon corps allait, mais mon âme restait là."
La journée du vingt-cinq, à midi, il m'arriva ce qui me fait frissonner encore dans ce moment où je vais l'écrire. À midi précis j'ai entendu le glapissement des verrous : j'ai cru de mourir. Un violent battement de cœur, qui frappait plus de six pouces plus bas que sa région, me fit craindre mon dernier moment : je me suis jeté éperdu sur mon fauteuil. Laurent en entrant me dit, mettant la tête à la grille, et avec un ton de jouissance : Je viens, Monsieur, vous porter une bonne nouvelle, dont je vous félicite. J'ai d'abord cru que c'était celle de ma liberté, car je n'en connaissais pas d'autre qui pût être bonne ; et je me voyais perdu : la découverte du trou aurait fait révoquer ma grâce. Laurent entre et me dit d'aller avec lui ; je lui réponds d'attendre que je m'habille : N'importe, me dit-il, puisque vous ne faites que passer de ce vilain cachot à un autre clair et tout neuf où par deux fenêtres vous verrez la moitié de Venise, où vous pourrez vous tenir debout, où... Mais je n'en pouvais plus, je mourais ; je le lui ai dit. J'ai demandé du vinaigre (2) en le priant d'aller dire à M. le Secrétaire que je remerciais le tribunal de cette grâce, en le suppliant au nom de Dieu de me laisser là. Laurent me dit avec un grand éclat de rire que j'étais fou : que le cachot où j'étais s'appelait l'enfer, et que celui où il avait ordre de me mettre était délicieux. Allons, allons, ajouta-t-il, il faut obéir, levez-vous. Je vous donnerai le bras, et je vous ferai d'abord porter toutes vos hardes (3), et tous vos livres. Etonné et en devoir de ne plus répliquer le moindre mot je suis sorti, et j'ai dans l'instant ressenti un petit soulagement en l'entendant ordonner à un des siens de le suivre avec mon fauteuil. Mon esponton (4) était caché dans sa paille : c'était toujours quelque chose. J'aurais voulu me voir suivi par le beau trou que j'avais fait avec tant de peine, mais c'était impossible : mon corps allait, mais mon âme restait là."
Giacomo Casanova, Histoire de ma fuite des Plombs, première partie, pp.89-90