Samedi 2 juillet, au haras de Saint-Lô, représentation du
Malade imaginaire de Molière, dans une mise en scène de
Jean-Daniel Laval- directeur de
La Compagnie de la Reine -avec Gérard Holtz dans le rôle d'Argan et son fils Antoine dans celui de Thomas Diafoirus, grotesque et inquiétant .
La tournée
Vive le Théâtre, fait halte sur les étapes du
Tour de France en associant plaisir du jeu et générosité.
En effet, les représentations sont gratuites grâce à Optic 200O, les spectateurs sont invités au lever de rideau à soutenir la recherche sur les maladies génétiques oculaires par leurs dons.
(
AFM-Téléthon)
On sait que c'est en jouant Argan que Molière, très malade, mourut, le 17 février 1673 ,non pas sur scène, mais à son domicile où il fut transporté d'urgence par sa troupe, comme l'évoque la scène finale du film d'
Ariane Mnouchkine , rythmée par la musique de
Purcell.
Sur un dispositif scénique très ingénieux et joliment éclairé au fur et à mesure de la tombée de la nuit, trône un grand fauteuil blanc - référence au célèbre
fauteuil dans lequel mourut Molière-
Là, Gérard Holtz tient son rôle avec brio, sachant varier les registres, tantôt bouffon, tantôt dupe pitoyable , bonhomme, malicieux et complice dans la scène avec Louison (Mathilde Puget), pleutre larmoyant face au terrible M. Purgon,
Thiphaine Vaur campe une Toinette pleine d'allant.
ARGAN.- Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ?
TOINETTE.- Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.
ARGAN court après Toinette.- Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.
TOINETTE se sauve de lui.- Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.- Viens, viens, que je t’apprenne à parler.
TOINETTE, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n’est pas Argan.- Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
ARGAN.- Chienne !
TOINETTE.- Non, je ne consentirai jamais à ce
mariage.
ARGAN.- Pendarde !
TOINETTE.- Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.
Améle Gonin joue la mielleuse
Béline
ARGAN.- Il faut faire mon testament, mamour, de la façon que Monsieur dit ; mais par précaution je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j’ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l’un par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gérante.
BÉLINE.- Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah ! combien dites-vous qu’il y a dans votre alcôve ?
ARGAN.- Vingt mille francs, mamour.
BÉLINE.- Ne me parlez point de bien, je vous prie. Ah ! de combien sont les deux billets ?
ARGAN.- Ils sont, mamie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.
BÉLINE.- Tous les biens du monde, mon ami, ne me sont rien, au prix de vous.
LE NOTAIRE.- Voulez-vous que nous procédions au testament ?
ARGAN.- Oui, Monsieur ; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. Mamour, conduisez-moi, je vous prie.
BÉLINE.- Allons, mon pauvre petit fils.
Comédie de moeurs et de caractère écrite en 1673,
le Malade imaginaire reste une farce à bien des titres et Jean-Daniel Laval ne se prive pas de mettre en scène lavements, clystères et... "matières" qui ont fait glousser de dégoût le public!
Souhaitant inviter la belle Angélique à la dissection d'une femme, Thomas Diafoirus arbore des linges ensanglantés, et le même Thomas assortit sa réplique ambiguë "
Baiserai-je ?"
d'une gestuelle impudique, qu'il accentue, face aux éloges de son père:
"
Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter; qu'il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu'il est du tempérament qu'il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés."
(Acte II Sc 5)
La leçon de cette comédie satirique est énoncée par Béralde ( Richard Delestre, très classe):
ARGAN.- Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu’un homme en puisse guérir un autre ?
BÉRALDE.- Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères jusques ici, où les hommes ne voient goutte ; et que la
nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connaître quelque chose.
ARGAN.- Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ?
BÉRALDE.- Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités ; savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les
maladies, les définir, et les diviser ; mais pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout.
ARGAN.- Mais toujours faut-il demeurer d’accord, que sur cette matière les médecins en savent plus que les autres.
BÉRALDE.- Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand-chose, et toute l’excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.
ARGAN.- Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous ; et nous voyons que dans la
maladie tout le monde a re
cours aux médecins.
BÉRALDE.- C’est une marque de la faiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art.
ARGAN.- Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu’ils s’en servent pour eux-mêmes.
BÉRALDE.- C’est qu’il y en a parmi eux, qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent, et d’autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon, par exemple, n’y sait point de finesse ; c’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds. Un homme qui croit à ses règles, plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croirait du crime à les vouloir examiner ; qui ne voit rien d’obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile ; et qui avec une impétuosité de prévention, une raideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire, c’est de la meilleure foi du monde, qu’il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il a fait à sa femme et à ses
enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même.
ARGAN.- C’est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais enfin, venons au fait. Que faire donc, quand on est malade ?
BÉRALDE.- Rien, mon frère.
ARGAN.- Rien ?
BÉRALDE.- Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La
nature d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs
maladies.
ARGAN.- Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette
nature par de certaines choses.
BÉRALDE.- Mon Dieu, mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et de tout temps il s’est glissé parmi les hommes de belles
imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles nous flattent, et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de se
courir, de soulager la
nature, de lui ôter ce qui lui nuit, et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions : lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles, et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur
naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années ; il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité, et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.
ARGAN.- C’est-à-dire, que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.
BÉRALDE.- Dans les dis
cours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes, que vos grands médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes.
ARGAN.- Hoy. Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un de ces messieurs pour rembarrer vos raisonnements, et rabaisser votre caquet.
... et avec une bonne dose d'autodérision, sous la plume du dramaturge:
BÉRALDE.- Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine, et chacun à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des
comédies de Molière.
ARGAN.- C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses
comédies, et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins.
BÉRALDE.- Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le
ridicule de la médecine.
ARGAN.- C’est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces Messieurs-là.
BÉRALDE.- Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.
ARGAN.- Par la
mort non de diable, si j’étais que des médecins je me vengerais de son impertinence, et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans se
cours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirais : "crève, crève, cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté".
BÉRALDE.- Vous voilà bien en colère contre lui.
ARGAN.- Oui, c’est un malavisé, et si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis.
BÉRALDE.- Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de se
cours.
ARGAN.- Tant pis pour lui s’il n’a point re
cours aux remèdes.
BÉRALDE.- Il a ses raisons pour n’en point vouloir, et il soutient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la
maladie ; mais que pour lui il n’a justement de la force, que pour porter son mal.
ARGAN.- Les sottes raisons que voilà. Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage, car cela m’échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal.
Quelle belle soirée théâtrale dans le superbe cadre du haras !